La rue a un nom …

La rue a un nom

On dit que je vis là depuis quelques années. On dit que parfois je suis maigre, faible et pelé,

alors que d’autres fois, je suis plus gras avec un beau poil. 

Je suis là, dans le caniveau, toujours prêt à prendre une caresse,

une poignée de croquettes des chats d’appartement du voisinage que l’on consent à m’attribuer.

Et puis c’est vrai, j’ai mes préférées, ces dames qui m’apportent du jambon à l’occasion,

à manger entre deux pneus. Chaque attention que l’on m’apporte

est une occasion pour elles de sortir, de discuter dans le quartier.

C’est simple, je fais partie du paysage, de cette rue qui porte le nom d’un notable,

moi le « meuble », la chose qui contribue discrètement, en bien ou en mal, à l’identité et à la vie d’un quartier,

le « sans-nom ».

L’innommable fait partie aussi de ma vie, c’est bien le sort de ceux que l’on ne nomme pas :

survivre aux os brisés, aux attaques de chiens, aux coups de pieds et empoisonnements.

Il y a aussi les rires malveillants de ceux que je dégoûte : je suis un reflet ordurier de la vie de quartier ?

C’est pourtant ici que je vis et je ne puis être le déchet de moi-même :

 je suis celui des habitants, de ceux qui n’ont pas géré ma naissance et assumé mon existence.

Je vis dans la rue, je n’ai pas de nom.